Fiche de lecture du roman  »Rosalie l’infâme » d’ Évelyne Trouillot

Fiche de lecture du roman « Rosalie l’Infâme » par Roberto LOUIS-CHARLES,

Fiche de lecture:
1-Présentation de l’ouvrage:
Titre: Rosalie l’Infâme
Auteur: Evelyne Trouillot
Genre: roman historique
Edition (année) : Atelier Jeudi Soir (2018)
2-Présentation de l’auteur:
Evelyne Trouillot est une écrivaine haïtienne, romancière, poétesse, dramaturge et essayiste. Elle est l’auteur d’une œuvre considérable de la Littérature Haïtienne contemporaine. On peut retenir La chambre interdite (1996), Ma maison en dentelle de bois (1999), La mémoire aux abois (2010) parmi ses œuvres les plus connues. Elle milite dans le secteur éducatif et culturel haïtien.
3- Présentation des personnages et Résumé de l’ouvrage :
3.1- présentation des personnages :
Lisette, jeune femme, esclave créole. Personnage principal du roman. Jeune femme arada
Tante Brigitte, grand-tante de Lisette
Autres personnages secondaires : Vincent, concubin de Lisette, esclave marron/ Mlle Sarah, fille du maitre/ La maitresse/ Grann Charlotte, grand mère de Lisette/ Man Augustine, marraine de Lisette/ Michaud, esclave rebelle/ Ayouba, mère de Lisette/ Gracieuse, et d’autres
3.2- Résumé de l’œuvre :
A une époque coloniale marquée par la grande peur du poison, pullulent les dénonciations de toute sorte suivies d’exécutions sommaires, des nègres accusés à tort ou à raison d’avoir empoisonné tel maitre ou telle famille de colon furent condamnés au bûcher. Lisette, jeune negrèsse esclave créole, n’a pas connu la vie tumultueuse de ses grands parents, Grand-tante Brigitte, Grann Charlotte, sa mère Ayouba, enchainés depuis les baracons, entassés sur le négrier La Rosalie. Elle est témoin de cette période troublante où la suspicion gangrène la vie. Maitres et esclaves vivent dans la peur. Lisette, ayant suivi l’exécution spectaculaire du nègre Paladin, mène une vie de « rapporteuse », elle épie les conversations des maitres lors d’innombrables réunions afin d’en décider du sort de certains esclaves marrons. Vincent, son concubin à elle, fait partie de ces nègres qui ont choisi de fuir les plantations préférant une vie errante au supplice de l’esclavage. L’histoire de son aïeul Brigitte, la guérisseuse a un impact considérable sur la vie de toute la famille. Grand-tante Brigitte, femme sage, avait décidé de tuer les nouveau-nés qu’elle aidait à mettre au monde dans le but de leurs éviter le destin cruel qui les attendait. Marquée par cette histoire, Lisette tente de trouver sa voie à une époque de fer et de sang.
4-Commentaires et appréciations personnelles :
Rosalie l’infâme est un roman passionnant, d’une écriture bien travaillée, il nous transporte vers une autre époque en mettant en exergue l’un des plus grands abus qu’a connu l’humanité : l’esclavage. L’un des grands mérites de ce roman c’est l’attention particulière qu’il accorde á l’esclave en tant qu’Etre : il s’intéresse à sa famille, à son vécu et à sa psychologie. Il ne se contente pas de nous conter la condition de vie des esclaves comme c’est monnaie courante dans les romans historiques. Ici l’esclave est vu non pas comme le bien meuble mais l’accent est mis sur la part d’humanité qui est en lui. A l’instar de Gracieuse, il peut décider de son être et de son avenir, il se rebelle et choisit son destin. Ce roman est un hymne chanté à l’esclave qui aspire déjà à sa liberté.
J’apprécie personnellement ce regard nouveau d’Evelyne Trouillot sur une époque troublante. Peu de romans historiques réussirent vraiment á cerner certains aspects mis à nu dans ce récit. Toutefois, l’intrigue me laisse sur ma soif. Tres peu de scène sur la Rosalie est présentée. Ce qui devrait avoir une place plutôt considérable dû au titre du roman. Evelyne Trouillot a le mérite d’avoir réussi à camper l’histoire de deux femmes esclaves reliées par une histoire, un vécu et des liens de parenté. Rosalie l’Infâme, à l’instar des Gouverneurs de la Rosée, Amour Colère et Folie, est l’un des romans incontournables de la littérature haïtienne.

Le 30 novembre 1900: départ d’Oscar Wilde

Le 30 novembre 1900 mourait le génie irlandais Oscar Wilde, l’auteur du fameux ouvrage  »Le portrait de Dorian Gray ». Il est considéré comme l’un des meilleurs écrivains de son temps. Visitez ses oeuvres!

@LT

Photo: internet

Carnet Littéraire : Dieu n’habite pas la Havane de Yasmina Khadra

FICHE DE LECTURE

TITRE ET DATE DE PARUTION: Dieu n’habite pas la Havane, 2016.

AUTEUR : Yasmina Khadra de son vrai nom Mouhammed Moulessehoul ;10 janvier 1955 ; a publié des essais, des recueils de nouvelles et des romans comme : Morituri, Les sirènes de Bagdad, Les hirondelles de Kaboul, L’attentat…

EDITEUR : Julliard

GENRE LITTERAIRE : Roman

PERSONNAGES PRINCIPAUX : Juan del Jovano surnommé Don Fuego, Panchito son ami, Mayensi son éprise, Sérena sa sœur, Elena son ancienne épouse, Felix son cousin et son chauffeur, sa fille Isabel, son fils Ricardo, Javier le mari de sa sœur …

LIEUX ET EPOQUE DES ACTIONS : L’histoire s’est déroulée à la Havane, la capitale de Cuba à l’heure où le régime castriste connait son essoufflement.

RESUME RAPIDE : Au moment où le régime castriste perdait haleine, Juan del Jovano, chanteur, évoluait au Buena Vista, craquait ce dernier avec sa voix de Stentor, au point de valoir le surnom Don Fuego. Toutes ses passions se tournaient autour de la musique, à telle enseigne qu’il ignorait sa femme et ses enfants jusqu’à engendrer un divorce. Seule la musique comptait pour lui. Brusquement, l’Etat a vendu le cabaret. La privatisation du night-club lui ruinait la joie de vivre. Désœuvré, il frappe toutes les portes, pourtant, il ne trouvait que des boulots éphémères. Se reposant un peu dans le vieux tram délaissé dans la station, il rencontra Mayensi, jeune fille de 20 ans, tourmentée depuis la noyade de son père adoré, installée dans le tram aussi sans une carte d’autorisation de l’Etat pour entrer à la Havane. Don Fuego l’aimait passionnément en dépit de son sexagénaire. Il faisait tout pour la protéger et la conquérir : l’emmener chez sa sœur pour prendre soin d’elle, en état lamentable ; lui acheter des vêtements ; l’aider à retrouver le sourire… Par la suite des coups qu’elle infligeait au neveu de Don Fuego, elle s’est enfuit. La fuite paniquait l’artiste. Il l’a cherchée partout et ailleurs. L’ayant trouvée, il se logeait avec elle dans un taudis et ils partageaient des moments de bonheurs. Dommage, cela ne dure pas trop longtemps, la fugueuse le mettait trois quart mort, lui en essayant de la ramener à la raison après sa tuerie. Don Fuego ne lâchait pas prise dans sa convalescence. Il partait pour de plus belle à la recherche de Mayensi. Sa mère lui a informé qu’elle était morte. Tourné en concert avec une bande de musiciens qui l’accueillent, il a remarqué la jeune fille et s’est entamé une brève conversation avec, qui, semblait embraser son passé. Là, s’achevait leur histoire comme un coup de foudre.

CE QUE J’AI AIMÉ DANS LE LIVRE : À bien observer les phrases, la façon propre à l’auteur d’agencer les mots, les images qu’il a construites, les métaphores et comparaison qui embobinent le roman, on comprendra vite qu’il s’agit de l’écriture d’un poète. Allant de ‘’CE QUE LE JOUR DOIT À LA NUIT’’ jusqu’à ‘’DIEU N’HABITE PAS LA HAVANE’’ je remarque toujours cette puissance poétique que Yasmina porte en lui. Et cela me plait.

A QUI JE LE CONSEILLERAIS : Je vous conseille tous, ce livre. Car, lire est une initiation. C’est initier l’esprit dans un voyage au de-là de l’entendement humain.

D’AUTRES LIVRES À MA PORTÉE :
– Et tu trouveras le bonheur qui dort en toi, Gounelle Laurent
– Pour que je sois la dernière, Nadia Murad.

Christo
chrisvinanjoseph@gmail.com

@letempslitteraire

Dany Laferrière rend hommage à Maryse Condé

Lettre à Maryse Condé de Dany Laferrière

12 octobre 2018|PRIX LITTÉRAIRE

Chère Maryse,

Je suis dans un joli hôtel au fin fond de la campagne française. Je vois par la fenêtre les arbres qui tentent de se rapprocher du soleil. Comme ce jour qui finit par faire corps avec toi, ton corps en douleur depuis si longtemps, ce corps qui n’a jamais cessé de fêter la vie. Par tes livres.

Je me souviens d’une de tes visites en Haïti, au début des années 70. J’arrivais à radio-Haïti où je travaillais comme jeune journaliste quand on m’a signalé ta présence dans le bureau de Jean Dominique. Tu n’étais pas encore la romancière célébrée dans le monde entier pour Ségou, cette évocation douce-amère de l’Afrique, mais déjà une intellectuelle redoutable qui pourfendait les mythes. À ce moment-là je me nourrissais de mythes et d’épopées, et j’avais peur de te rencontrer. Ce que je saurai rapidement c’est la grande tendresse, cette nappe phréatique qui irrigue tout ton être et t’empêche souvent de sombrer dans le désespoir. Tes livres, malgré tout, sont gorgés de soleil. De ce soleil qui tire les arbres vers le haut. Tes livres sont faits de ces arbres qui dansent dans l’éternel été de nos vies. Je me souviens qu’apprenant que j’étais mal logé à New York tu m’as invité dans cet appartement que l’université de New York avait mis à ta disposition. On a passé trois jours à causer. Je nous revois, toi, ton mari et moi discutant d’Haiti, d’écriture, de cuisine antillaise, de voyages et de traduction. J’étais à l’endroit où je voulais être, avec l’impression que je vivais un moment inoubliable. Je m’attendais à tout moment à voir apparaître Tony Morrison. Mais aussi Richard, cet homme qui partage ta vie depuis si longtemps, à la fois ton mari et ton traducteur, je crois qu’une bonne part de ce prix lui revient. Je le vois rougir et faire ce geste désinvolte de la main, comme pour chasser la mouche de la vanité. Et je sais que tu descends, seule, au fond de la mine. Pour remonter à la surface c’est la main de Richard que tu attrapes. Tu la sais sûre. Il y a à peine deux semaines, j’étais à Manosque avec Alain Mabanckou pour le festival littéraire et, le sachant par ton médecin, tu as enregistré un mot d’amitié à notre endroit. J’étais abasourdi de te voir dans ce lit d’hôpital en train de sourire tout en articulant péniblement un sentiment si puissant. D’où tires-tu, Maryse, ce lait de tendresse? Pour tous ceux qui se rappellent d’un éclat de colère, d’un regard sombre et ombrageux ou d’une critique acerbe qui s’allonge dans une diction lente, je me souviens de ce sourire qui fleurit sur des lèvres si sensuelles.

Voilà que près de 35 ans après Ségou la gloire est revenue. Je sens d’ici ton regard voilé mais où brille tout au fond la fierté d’une petite fille si turbulente qu’on la croyait insolente. C’est l’image que je garde de toi: une petite fille qui casse tout sur son passage parce qu’elle est submergée par une émotion qui l’entraîne vers une mer d’encre.

Dany Laferrière, Bazas, 12 octobre 2018

Source: Camillerobitailleagency.com

Fragment-Texte: James Baldwin sur sa condition

« je m’appelle Baldwin parce que je fus soit vendu par ma tribu africaine, soit volé à elle pour tomber entre les mains d’un chrétien blanc du nom de Baldwin qui me força à m’agenouiller au pied de la croix.»

La prochaine fois, le feu Paris , Gallimard, 1963

Propos repris par Alain Mabanckou dans Lettre à Jimmy, points, 2009

CP: progressive.org

Événement Littéraire

Le temps Littéraire vous invite, ce samedi 21 juillet à la vente-signature du premier roman de Clauvell Louis Jean Junior titré « Mémoire d’un trépassé au bar Café des Copain, Bois Vernat, durant toute la journée.

Partage de Lecture Hebdomadaire

 

Heureux de vous retrouver dans le cadre de notre rubrique hebdomadaire de partage de lecture. Cette semaine nous allons continuer avec la série que nous avions commencée récemment. Nous vous proposons une petite sélection de cinq (5) des livres que vous devez lire au moins une fois dans votre vie. Voici donc une deuxième sélection de nos livres de chevet, grands classiques ou romans décalés entre tradition et modernité. Néanmoins, nous tenons à vous rappeler que cette sélection est  présentée dans un ordre qui n’est nullement un classement. Bonne semaine de lecture à vous.

 

  1. Un Barrage contre la pacifique de Margueritte Duras
  2. L’écume des jours de Boris Vian
  3. La Guerre et la Paix I de L. Tolstoï
  4. L’appel de la forêt de Jack London
  5. Fahrenheit 451 de Ray Bradbury

 

 

 

 

Niconorve Charles

Normalien Supérieur/Bibliothécaire

Charlescn71@gmail.com

Partage de lecture hebdomadaire

 

Bonjour,

Heureux de vous retrouver dans le cadre de notre rubrique hebdomadaire de partage de lecture. Cette semaine nous allons commencer avec une série de livre qu’il faut lire au moins une fois dans sa vie. Voici donc une première sélection de nos livres de chevet, grands classiques ou romans décalés, entre tradition et modernité. Toutefois, cette sélection est  présentée dans un ordre qui n’est nullement un classement.

 

  1. Le Horla de Maupassant
  2. Sa majesté des Mouches de William Golding
  3. Frankenstein de Mary Shelley
  4. La Peste d’Albert Camus
  5. La Métamorphose de Kafka

 

 

Bonne semaine de lecture à vous.

 

 

 

Niconorve Charles

Normalien Supérieur/Bibliothécaire

Charlescn71@gmail.com

 

 

Partage de Lecture Hebdomadaire

Bonjour,

Heureux de vous retrouver cette semaine dans le cadre de notre rubrique de proposition de lecture hebdomadaire. Cette semaine nous vous proposons une petite sélection de cinq livres de l’oeuvre de Jules Verne. Auteur dont la plus grande partie de son œuvre est consacrée à des romans d’aventures et de Sciences fictions (appelés à son époque, Romans d’anticipation).

Son oeuvre est populaire dans le monde avec plus de 4500 traductions, fait de lui l’auteur de langue française le plus traduit dans le monde. Nous vous invitons à lire dans la mesure du possible cette petite sélection.

1- Vingt mille lieues sous les mers

2- L’île mystérieuse

3- Michel Strogoff

4- Voyages extraordinaires

5- Les enfants du Capitaine Grant

Bonne semaine de lecture à vous.

Niconorve Charles

Normalien supérieur/Bibliothécaire

Charlescn71@gmail.com

Quelques Réflexions sur la Narration Par Kurt Vonnegut

L’art de la farce
Quelques réflexions sur la narration et son enseignement, par Kurt Vonnegut.

En plus d’être l’un des plus grands romanciers américains du vingtième siècle, Kurt Vonnegut a enseigné le creative writing pour l’Université de l’Iowa. Pour bien commencer la rentrée, nous avons traduit les quelques extraits d’interviews suivants.

Pensez-vous que l’art de la narration puisse vraiment s’enseigner ?

Oui, de la même façon que le golf : un professionnel peut t’indiquer les défauts les plus flagrants de ton swing. Certains de mes élèves ont fini par publier de merveilleux livres. Gail Godwin, John Irving, Jonathan Penner, Bruce Dobler, John Casey et Jane Casey. Maintenant je ne veux plus enseigner, mais je connais bien la théorie.

Pouvez-vous formuler cette théorie en quelques mots ?

Paul Engle, le fondateur du Writers Workshop de l’Iowa, l’a déjà fait. Un jour il m’a expliqué que, si jamais son atelier obtenait un bâtiment, la devise suivante serait gravée sur la porte : « Ne prenez pas tout ça trop au sérieux ».

En quoi cela aiderait-il les apprentis écrivains ?

Ça leur rappellerait qu’ils sont ici pour apprendre l’art de la farce.

De la farce ?

Si tu fais rire ou pleurer les gens face à de petites traces noires sur du papier blanc, qu’est-ce sinon une farce ? Toutes les bonnes histoires sont d’excellentes farces. Les gens tombent dans le panneau, encore et encore.

Un exemple ?

Le roman gothique. Des douzaines sont publiés chaque année, et ils se vendent tous. Mon ami Borden Deal a récemment écrit un roman gothique, juste pour le plaisir. Je lui ai demandé de m’en résumer l’intrigue. Il m’a répondu : « Une jeune femme décroche un emploi dans une vieille maison, où elle tombe sur des choses plus effroyables les unes que les autres. »

D’autres exemples ?

Ils sont moins drôles à décrire : quelqu’un s’attire des ennuis, puis finit par s’en sortir ; quelqu’un perds une chose, et finit par la retrouver ; quelqu’un est blessé, et finit par se venger ; Cendrillon ; quelqu’un dérape et s’enfonce, s’enfonce, s’enfonce ; deux personnes tombent amoureuses, mais un paquet de gens les empêche de vivre leur amour ; une personne vertueuse est accusée à tort d’avoir péché ; un pêcheur est pris pour un homme vertueux ; quelqu’un fait preuve de courage face à un défi, et finit par réussir ou échouer ; une personne ment, une personne tue, une personne commet la fornication.

Pardonnez-moi, mais ce sont là des intrigues très vieillottes.

Je vous garantie qu’aucun procédé narratif moderne, même sans intrigue, ne procurera de réelle satisfaction au lecteur, à moins que l’une de ces intrigues « vieillottes » n’en fasse partie, d’une façon ou d’une autre. Je n’encense pas ces intrigues comme représentations fidèles de la vie, mais comme façons d’accrocher le lecteur. Quand j’enseignais l’art de la narration, je disais à mes élèves que leurs personnages devaient désirer une chose dès la première ligne de l’histoire, même si cette chose était un verre d’eau. L’un de mes élèves a écrit l’histoire d’une nonne qui se coinçait un morceau de fil dentaire entre les molaires inférieures, et qui n’arrivait pas à le retirer de la journée. J’ai trouvé ça merveilleux. Cette histoire parlait de choses beaucoup plus profondes que le fil dentaire, mais la raison pour laquelle les lecteurs continuaient de lire, c’était l’anxiété : il fallait qu’ils sachent si le fil dentaire finirait par être retiré. Personne ne pouvait lire cette histoire sans se triturer les dents. Voilà un exemple de très bonne farce. Si l’on exclut l’intrigue, si aucun personnage ne désire quoi que ce soit, alors on exclut le lecteur, ce qui est une chose très mesquine à faire. Une autre façon d’exclure le lecteur, c’est de ne pas lui dire d’entrée de jeu où se déroule l’histoire, et qui sont les protagonistes.

Et ce qu’ils désirent.

Oui. Et si tu veux vraiment que le lecteur s’endorme, la meilleure façon serait de toujours éviter que les personnages entrent en conflit les uns avec les autres. Les apprentis écrivains prétendent souvent vouloir éviter le conflit dans leurs histoires, car c’est ce que font les gens dans le monde moderne. « L’existence moderne est si solitaire », expliquent-ils. Ce n’est que de la paresse. Le travail de l’écrivain, c’est de mettre en scène des confrontations, de façon à ce que les personnages disent des choses surprenantes et révélatrices, qui nous éduquent et nous amusent. Si un écrivain ne sait pas ou ne veux pas faire ça, il ferait mieux de choisir un autre artisanat.

Artisanat ?

Artisanat. Les charpentiers construisent des maisons. Les romanciers utilisent le temps libre d’un lecteur de façon à ce qu’il n’ait pas l’impression de perdre son temps. Les mécaniciens réparent des voitures.

Mais il faut tout de même du talent ?

Dans tous ces domaines, oui. À une époque, j’étais vendeur de voitures à Cape Cod. J’ai essayé de suivre des cours de mécanique dispensés par mon employeur, mais je me suis fait renvoyer. Aucun talent.

Le talent pour la narration est-il commun ?

Dans n’importe quelle classe de creative writing, sur vingt élèves, six seront extrêmement talentueux. Deux d’entre eux finiront peut-être par publier des choses.

Quelle est la différence entre ces deux-là et les autres ?

Ils auront en tête quelque chose d’autre que la littérature elle-même. Et puis ce seront sûrement de bons arnaqueurs. C’est à dire qu’ils n’attendront pas passivement d’être découverts. Ils insisteront pour qu’on les lise.

Kurt Vonnegut.