« À la rencontre des lauréats du Prix International de l’Invention Poétique : Un dialogue poétique avec Witensky Lauvince et Ar Guens Jean Mary »

Entrevue | « Witensky Lauvince et Ar Guens Jean Mary, lauréats du Prix International de l’Invention Poétique, partagent leur passion pour la poésie et leur engagement à travers leurs recueils « Brûler les ténèbres » et « Wòch se premye powèm m voye deja ». Witensky Lauvince explore la quête de la lumière et l’engagement politique dans son recueil, tandis qu’Ar Guens Jean Mary exprime sa colère sublimée en célébrant des figures iconiques. Les deux poètes décrivent leur style poétique et leurs influences, tout en révélant leurs projets futurs. Leurs œuvres témoignent de la beauté de la langue et de l’importance de la poésie dans notre monde contemporain. »

A droite : Ar Guens Jean Mary ; à gauche : Witensky Lauvince

Le Temps Littéraire : Félicitations pour avoir remporté le Prix International de l’Invention Poétique pour vos recueils « Brûler les ténèbres » et « Wòch se premye pwen m voye ». Comment vous sentez-vous après avoir reçu cette distinction ?

Witensky Lauvince : Je remercie Le Temps Littéraire pour cet échange. J’ai gagné le Prix International de l’Invention Poétique en 2022. Mon texte «Brûler les ténèbres» a été lauréat de la catégorie française et celui d’Ar Guens Jean Mary « Wòch se premye pwen m voye » a été primé dans la catégorie créole. Les deux ouvrages ont été édités par LEGS Edition et lancés, ce mois de mai, à la 2e édition du Festival Mai.Poésie, organisé par l’association Balisaille en Martinique.
J’ai été très heureux de recevoir cette distinction. Un prix est toujours un encouragement, une bouffée d’air frais mais non une apothéose. Comme j’aime le dire : pour moi, la littérature est un haut lieu d’apprentissage, alors je continuerai à apprendre, à apprendre à écrire pour tracer mon chemin.

Ar Guens Jean Mary : Je suis reconnaissant face à une telle distinction qui permet de mettre en lumière ma création poétique en langue créole surtout à une époque où la poésie n’est pas très présente sur la scène littéraire. Je pense que le festival Mai.Poésie de l’association Balisaille—organisatrice de ce prix international de l’invention poétique et de la traduction en langue(s) créole(s)—offre un très bel espace de lumière pour les gens de la Caraïbe et d’ailleurs qui écrivent de la poésie.

« Ce recueil, édité par LEGS EDITION, est un poème-fleuve qui explore la métaphore du lancer déjà présent au titre. Il investit la langue tel un chant populaire pour proposer des regards sur la réalité socialement précaire en Haïti…

Ar Guens Jean Mary

L.T. : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos textes primés ? Quel en est le thème principal et quelles sont les principales idées que vous cherchez à transmettre à travers vos poèmes ?

W.L. : « Brûler les ténèbres » est un recueil de poèmes qui invite à s’insurger contre la dictature des ténèbres et œuvrer pour instaurer une ère de clarté. « Brûler les ténèbres » parce qu’il faut enfin que la lumière jaillisse pour éclairer tous les recoins sombres et nourrir cette part de lumière qui est en chacun de nous. Le recueil joue avec les termes : «ténèbres / obscurité», « lumière / clarté ». On y trouve également la solitude, la douleur, un certain engagement politique mais tout part vers cette clarté qui doit jaillir. Je parle d’éblouissement dans ce poème qui inaugure le recueil, pour « mettre en déroute la machine des ténèbres et condamner à la faillite son industrie ». À travers les pages, s’invite aussi l’amour et je signe des poèmes à ma mère et à ma grand-mère ; ces femmes qui m’ont forgé, ont construit l’homme que je suis en train de devenir. Il y a une cohérence à travers le recueil où la lumière ou plutôt la quête de la lumière, quel que soit le thème abordé, est constante. Le recueil se ferme avec une postface qui célèbre le culte de l’humanité que je considère dans le champ de cette politique d’éblouissement et la poésie qu’il faut « planter, avec l’espoir, à chaque mètre carré d’horizon libre ».

A.G.J.M. : Ce recueil, édité par LEGS EDITION, est un poème-fleuve qui explore la métaphore du lancer déjà présent au titre. Il investit la langue tel un chant populaire pour proposer des regards sur la réalité socialement précaire en Haïti, les conditions de liberté de nos frères et sœurs des Antilles et ceux des Etats-Unis. D’autre part, ce texte est un aussi une célébration car il y a des figures iconiques dont il met en lumière pour renforcer son souffle. Et peut citer Préfète Duffaut, Manno Charlemagne, Azor etc. Dans ce livre, je ne cherche qu’à transmette ma colère sublimée.

« Pour moi, la littérature est un haut lieu d’apprentissage, alors je continuerai à apprendre, à apprendre à écrire pour tracer mon chemin. »

Witensky Lauvince

L.T. : Comment est née votre passion pour la poésie ? Quels sont vos poètes préférés et comment ont-ils influencé votre travail ?
W.L. : Je crois que je suis un être sensible à la poésie depuis mon enfance. Je me rappelle que j’ai été choisi pour réciter un poème lors de ma graduation au Kindergarten. Plus tard, dans les classes supérieures, j’ai su beaucoup plus sur cette belle chose qui m’enchantait. Cette capacité d’émerveillement face au beau, à la beauté des mots m’a poussé à m’aventurer dans les eaux riches de la poésie. Quant aux poètes, ils sont beaucoup que j’aime bien et de jour en jour j’en découvre d’autres. Par exemple, ce n’est que dernièrement que j’ai mis les pieds dans l’univers sublime d’un poète comme Mahmoud Darwich. J’ai été un passionné de Baudelaire, j’aime Rimbaud, Nazim Hikmet, Georges Castera Fils, Fernando Pessoa, René Philoctète, Charles Bukowski… Ce sont tous des ouvriers de la plume qui m’ont ouvert une porte sur la beauté de la langue. Il y a aussi, dans cette jeune génération à laquelle j’appartiens, de talentueux poètes que j’aime beaucoup lire. Chaque poète a sa langue personnelle et je pense que c’est en ce sens que lire ces poètes a ravivé ma flamme d’émerveillement tout en m’aidant à bâtir ma langue personnelle.

A.G.J.M. : Ma poésie est née à l’école. On peut même dire qu’elle a fait ses études. Car c’est à l’école que j’ai entendu pour la première fois la chanson de Roland, les vers de Victor Hugo, Verlaine etc. Ces poètes classiques ont certes marqué ma création depuis mes premières rimes, mon premier poème dans le sens de la métrique. Mais le fond est d’origine divers ; je me sens donc influencé par Darwich, Sony Labou Tansi, Neruda, Éluard, Aragon…

« Je suis reconnaissant face à une telle distinction qui permet de mettre en lumière ma création poétique en langue créole surtout à une époque où la poésie n’est pas très présente sur la scène littéraire. »

Ar Guens Jean Mary

L.T. : Comment décririez-vous votre style poétique ? Quelles sont les techniques et les formes que vous préférez utiliser dans vos poèmes ?

W.L. : Mon écriture poétique est née à une période où je faisais face à la nostalgie, au chagrin que j’éprouvais éloigné des miens, de ma ville natale (Léogâne) que j’avais quittée pour mes études secondaires à Port-au-Prince. Et écrire était, pour moi, le moyen de dégager mes sentiments et de me libérer de ce qui m’oppressait. C’est à dire que mes textes poétiques sont fortement traversés par un lyrisme profond. L’écriture poétique a été le chemin de la découverte de moi-même. J’ai été agréablement surpris de découvrir que je n’étais pas seul sur ce chemin lorsque j’ai partagé mes textes. Avant, j’écrivais des poèmes versifiés, je me rappelle même avoir produit un « 100 vers » à la manière de Hugo pour rivaliser avec un camarade de classe, Darwin Neil Phanord. La belle époque ! Avec la découverte de Baudelaire et ses petits poèmes en proses, les vers libres, je me suis tourné vers ce style qui me plaît énormément.
Depuis que j’ai osé la création littéraire, j’écris à partir d’un lieu : intérieur et extérieur. J’écris à partir de ce qui se passe à l’intérieur de moi, de mes ressentis, de ce que j’ai vécu, mais sans ignorer le monde autour de moi. Je suis de ceux qui croient qu’il est difficile de s’échapper à soi-même, autant qu’on ne peut ignorer ce qu’il y a autour de nous. Mon regard posé sur le monde alimente ma création poétique. On habite un monde sur lequel on ne peut fermer les yeux en tant qu’artiste, surtout quand tant de choses se passent. Jean Paul Sartre disait que « si le créateur accepte d’être créateur d’injustices, c’est dans un mouvement qui les dépasse vers leur abolition. » Donc, en donnant à voir le monde tel qu’il est, le créateur en appelle à la conscience de l’homme, suscite son indignation etc…
Je dirais que je suis versé dans un certain engagement esthétique et un « renouvellement constant de la langue », pour répéter l’autre. Alors les images, les figures… comptent beaucoup dans mon écriture. De plus, j’aime la concision et les proses poétiques.

A.G.J.M. : Je dirais que c’est un style simple dans le sens de Prévert du terme mais qui a beaucoup d’amplitude. Pas un simple dans le sens ordinaire, mais esthétiquement bien travaillé. Et d’habitude je ne choisis pas les formes, le plus souvent ce sont elles qui s’imposent à mon vouloir dire.

« Brûler les ténèbres » est un recueil de poèmes qui invite à s’insurger contre la dictature des ténèbres et œuvrer pour instaurer une ère de clarté. »

Witensky Lauvince

L.T. : Quels sont vos projets poétiques pour l’avenir ? Avez-vous un nouveau recueil en préparation ?

W.L. : Mon deuxième recueil « À partir du chaos » a remporté la première édition du Prix Jean Métellus, cette année. Préfacé par Makenzy Orcel, il sortira en juin chez les ÉDITIONS HENRY et sera présenté à la 40e édition du Marché de la poésie en France. Bon après, je continue à habiter le monde poétiquement et à porter ma parole partout où elle doit être entendue.

A.G.J.M. : Là en ce moment je travaille sur un nouveau recueil de poésie en langue française ainsi qu’une pièce de théâtre.

Propos recueillis par Wilbert ANTÉNOR

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