Nitza Cavalier : « le théâtre m’a sauvé la vie ! »

Entrevue | Nitza Cavalier, dramaturge et comédienne haïtienne résidant en Guyane française, partage son parcours artistique et les motivations derrière ses créations avec Le Temps Littéraire (LTL).. Depuis ses débuts au Théâtre National, Nitza a trouvé dans le théâtre et l’écriture une voix d’expression et de résilience. Avec des oeuvres telles que J’écris avec du sang, M’appelle Frida kahlo et Testament du Kaptif, Nitza explore les thèmes du deuil, de la souffrance et de la résilience.

  1. Le Temps Littéraire (LTL) : Bonjour Nitza, merci d’avoir accepté cette interview. Tout d’abord, peux-tu nous parler un peu de ton parcours et de ce qui t’a amené à devenir dramaturge et comédienne ?

J’ai commencé à faire du théâtre depuis mes 16 ans au théâtre national d’Haïti. C’est dans ce lieu que je fis la rencontre de Raoul Junior Saint-Cyr, un passionné, qui m’a proposée de faire ma première expérience dans cet art en étant l’une des actrices de « Illusion », une pièce de Dine Colin, à la dixième édition du festival quatre chemin. Mon amour n’a pas cessé de grandir pour la scène avec les formations régulières que nous proposait ce dernier à la FEV. Quand je suis arrivée en Guyane, je peux affirmer que le théâtre m’a sauvé la vie ! Entre sentiment d’impuissance, accueil difficile des Haïtiens et une situation administrative compliquée, j’ai naturellement fait appel à mon Dieu Théâtre. En effet, c’est avec le théâtre que j’ai pu trouver mes repères, c’est avec le théâtre et l’écriture que j’ai pu me construire une place dans cette nouvelle terre qui m’a accueillie. Peut-être qu’il était écrit quelque part que la personne que je suis sera une femme de théâtre ? Sûrement, oui. Enfin, j’y crois.

Je me vois en train de vivre cette aventure au jour le jour…  Je me perfectionne et j’essaie d’être la plus complète : Dramaturge, Comédienne, metteure en scène. J’ai plusieurs créations à mon actif : J’écris avec du sang, M’appelle Frida Kahlo, Testament du Kaptif et Traversée Spirale qui sortira prochainement chez Feray Edisyon ; ce sont toutes des œuvres qui montrent combien la création artistique est nécessaire, des œuvres qui, je l’espère, contribueront à la libération de quelques paroles étouffées ici.

2. LTL : Tu organises prochainement un atelier d’écriture autour du thème « Par l’écriture intime du drame ». Peux-tu nous en dire plus sur cet atelier et ce qui vous a inspiré à le mettre en place ?

L’atelier d’écriture « Par l’écriture intime du drame » est un atelier qui complète la représentation de ma pièce de théâtre « J’écris avec du sang » prévu pour ce 4 Mars 2024. J’aime me dire que les gens doivent être les propres acteurs de leur destiné. J’ai de ce fait proposé les ateliers d’écriture après la représentation   afin d’assurer un partage complet. « Par l’écriture intime du drame » c’est inciter le recours à la plume dans des situations de détresse ; c’est aller vers l’autre pour découvrir d’autres anecdotes ; c’est aussi construire un espace confidentiel pour déposer les fardeaux de la vie.

C’est un fait : plusieurs personnes dans le monde entier grandissent avec la souffrance dans leur ADN. Catégorisées pour la plupart par leur appartenance sociale, ces personnes restent naturellement en retrait. En Guyane, par rapport à mon activité artistique, j’ai souvent été dans des situations d’observation ; j’observe, je vis, je ressens… Comme dans toute autre société emprisonnée par les systèmes d’oppressions, il y a ici beaucoup de cas de femmes marginalisées qui ont souvent besoin de support ; des enfants abandonnés ou non encadrés ; des jeunes voués à eux-mêmes… L’on y retrouve également un grand nombre de migrants qui ont, d’une façon ou d’une autre, connu cette sensation de se sentir exilé ; un départ fort-souvent lié à des incidents qui les marqueront toute leur vie. Ces personnes ont besoin de modèle de force. « Par l’écriture intime du drame » peut être cette alternative parmi tant d’autres, capable d’inciter à puiser dans son intimité, son moi le plus profond, pour faire de l’écriture cette force.

3. LTL : Tu présentes également un spectacle intitulé « J’écris avec du sang », en hommage à ton père. Peux-tu nous en dire plus sur ce spectacle et ce qu’il représente pour toi ?

J’écris avec du sang illustre un cheminement vers la paix intérieure. Cette pièce est non seulement une arme pour vaincre la mort, la souffrance et la détresse, mais aussi un moyen de sortir des farces du monde, des fausses certitudes par le biais d’un dialogue philosophique avec Nietzsche qui invite dans sa pensée à métamorphoser l’existence, à en transformer le sens. Nietzsche qui invite à être conscient de son chaos existentiel pour « mettre au monde une étoile dansante ».

J’écris avec du sang est un modèle de construction de l’art comme alternative face aux obstacles, un moyen de conscientiser sur ce lien fort qui existe entre toutes les couches sociales : l’intimité dramatique.

Le spectacle sera donc un espace de conversation intérieure, un lieu de confidence, de dialogues intimes.  Le texte se veut une thérapie, une transformation de la mort en étincelle d’espoir, une proposition capable de permettre à l’individu de se questionner sur sa réalité, faire table rase et ainsi s’ouvrir sur le monde…

4. LTL : Comment conçois-tu le rôle de l’art, et plus spécifiquement du théâtre, dans la guérison et le processus de deuil ?

Dans notre quotidien, face à la mort, les personnes mettent en place un ensemble de rituels qui les accompagne tout au long du processus du deuil. Ces rituels englobent des actions codifiées et répétitives qui s’incarnent profondément dans la personne qui chemine la guérison intérieure face à sa perte. L’Energie thérapeutique se trouve donc ici, dans ces gestes et ces paroles qui invitent à en saisir un sens, qui permettent l’acceptation de cette séparation.

Toute cette tradition, tous ces faits et gestes, c’est du théâtre, dans la mesure où le théâtre reste pour moi un espace sacré ; la guérison de l’âme face à cet abandon brutal de l’être cher est mise en scène par des traditions culturelles et religieuses ; les gens ne se disent pas forcément qu’ils font du théâtre, mais c’est le cas. Il s’agit d’une répétition régulière qui matérialise l’intention d’être psychologiquement guéri. Comme le dirait Augusto Boal, le théâtre est dans tous les cas, une arme de libération, il est un langage pouvant être utilisé par n’importe qui, il est la répétition du désir de changement, un entraînement pour transformation réelle.

Justement, c’est parce que l’art permet cette méditation sincère, cette totale reconnexion avec l’invisible que nombre d’artistes en quête de sens et de thérapie, évoluant soit dans la musique, soit dans la peinture, dans la danse ou dans le théâtre, ont recours à lui et arrivent à produire des chefs-d ’œuvre qui réinventent la vie.

5. LTL : En conclusion, quel message souhaites-tu transmettre à ceux qui participeront à ton atelier d’écriture et à ceux qui assisteront à ton spectacle ?

Puissions-nous nous comprendre l’une, l’autre ! Puissions-nous construire ensemble ces moments de dialogues intimes ! Puissions-nous transcender le chaos pour toucher l’invisible.

Vivement l’art ! Vivement le théâtre !  Vivement l’écriture !

Propos recueillis par Wilbert ANTENOR

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